« Depuis quelques années on a beaucoup parlé des Castors. Ces mammifères rongeurs, nuisibles à l’arboriculture, sont devenus sympathiques depuis l’époque où des hommes leur ont emprunté non seulement leur nom, mais encore leur façon ingénieuse de construire« , Sud-Ouest, 20 juillet 1952..
Alors que le mois de mai 2018 marquera la première rencontre des Cités Castors de France, dans la ville de Pessac en Gironde, retour sur cette épopée humaine qui réunit, de 1945 à 1955, des citoyens autour d’un projet de cité idéale.
Le droit au logement pour tous
En 2018, la Cité des Castors de Pessac-Alouette, première naît, fête ses 70 ans d’existence. Cet événement est l’occasion de revenir sur la raison d’être de ce mouvement d’autoconstruction qui s’est développé à l’échelle nationale au cours de la Reconstruction de 1945.
« Face au manque d’initiatives publiques, des individus tentent de mettre en place des projets collectifs d’initiative privés, qui passent à l’époque pour des entreprises utopiques, en s’unissant pour construire eux-mêmes leur logement. Il s’agit donc d’un mouvement de protestation collective, qui trouve son expression dans l’action de construction de cités d’habitation. » – Julie Boustingorry, Docteur en Histoire et en Urbanisme, « Le mouvement d’autoconstruction des Castors en France, 1945-1955 : de la revendication à l’action, quand la société civile se donne le droit au logement ».
En 1948, à Pessac près de Bordeaux, ce sont 150 logements qui seront construits par les Castors girondins à la seule « force des poignets », sur un terrain de près de 12 hectares. Pour y parvenir, les ouvriers, qui sont loin d’avoir les moyens financiers de leurs ambitions résidentielles, vont faire vivre la notion d’ « apport-travail » : la quantité de travail investi sur le chantier vient en remplacement du capital indispensable à l’emprunt bancaire.
Des initiatives publiques insuffisantes
Entre 1945 et 1954, les logements sont surpeuplés et insalubres (90% de la population ne possède pas de baignoire ni de douche). Le baby-boom et la décolonisation engendre une poussée démographique sans précédent.
Le gouvernement tente de redresser la situation en promulguant plusieurs lois. Celle du 1er septembre 1948 permet de créer l’allocation logement et réorganise le marché de l’immobilier dans le sens d’une rentabilisation des capitaux investis. La loi du 21 juillet 1950 accélère la construction de logements via des primes et prêts à long terme.
D’autre part, sous l’impulsion de l’État-providence, les Habitations Bon Marché deviennent les Habitations à Loyer Modéré (HLM), outil principal pour lutter contre la crise du logement. En 1953, le plan « Courant » prévoit la construction de 240.000 logements par an sur cinq ans. Les pouvoirs publics imposent le versement du 1% patronal pour que les entreprises participent à l’effort de construction.
Il faudra attendre « l’insurrection de la bonté » de 1954, grand mouvement d’entraide lancé par l’Abbé Pierre, pour que des cités d’urgence soient édifiées sur tout le territoire. L’industrialisation facilite la construction de logements. Des programmes immobiliers d’ampleur voient alors le jour : les ZUP (zones à urbaniser en priorité, par décret du 31 décembre 1958),
Cependant, si les initiatives publiques sont réelles, elles tardent à se concrétiser. Aussi, devant l’urgence de la situation, la société civile se mobilise pour tenter de résoudre, par ses propres moyens, la crise subie.
Des rongeurs militants
C’est en région parisienne ainsi qu’en Bretagne (Brest, Quimper, Carhaix, Saint-Pol-de-Léon, Lorient) que le mouvement des Castors s’est le plus fortement implanté. Et pour cause, ce sont sur ces anciennes lignes de front que les destructions de la guerre se font ressentir avec le plus de poids.
Alors que les premiers groupes de Castors se forment sans qu’une conscience politique ne soit à leur fondement, cette spontanéité laisse rapidement la place à une véritable idéologie.
« La singularité des Castors aquitains est la portée idéologique qu’ils confèrent à leur action. Ils se refusent à être de simples entrepreneurs, et le castorat, en plus de se poser comme un palliatif à la crise du logement qui sévit, s’affirme aussi comme une revendication ouvrière dans ses premiers temps d’émergence ». – Julie Boustingorry, Docteur en Histoire et en Urbanisme, « Le mouvement d’autoconstruction des Castors en France, 1945-1955 : de la revendication à l’action, quand la société civile se donne le droit au logement ».
Selon les propos de la direction de la communication de la mairie de Lorient dans une interview accordée à France 3 Bretagne, le rassemblement des Castors est le témoin d’une « […] classe ouvrière qui aspire à autre chose que ceux à quoi elle peut prétendre ». Les Castors, en dépit de leur situation sociale, veulent pouvoir profiter des avantages d’une maison avec jardin. Autrement dit, avec le mouvement des Castors on assiste aussi à un refus du logement collectif qui se développe à cette période.
Comme le souligne, Julie Boustingorry dans ses travaux universitaires, les Castors, en tentant de pallier la crise du logement, ont su trouver une solution alternative entre la promotion privée et le système du logement social afin de parvenir à l’accession à la petite propriété.
Faire revivre la « Claire-Cité »
Certaines fédérations régionales de Castors prennent à coeur le fait de commémorer cette épopée humaine. C’est le cas de la commune de Couëron, près de Nantes, en association avec sa voisine, Rezé.
En effet, dans cette ville de 20.255 habitants, le théâtre municipal Boris Vian organisait, il y a quelques années, un spectacle à partir des témoignages de pionniers Castors issus de l’ouvrage « Claire-Cité ». Interprété par la compagnie « La fidèle idée », l’initiative avait obtenu le soutien du Conseil départemental de la Loire-Atlantique et de la région Pays de la Loire.
À Rezé, des documentaires projetés au cinéma Saint-Paul avaient, quant à eux, permis de célébrer l’épopée de ses Castors qui ont su conserver leur esprit communautaire et dont les habitats sont toujours debouts. Une petite-fille de Castor avait confié au journal Sud-Ouest : « Les anciens transmettent l’histoire du quartier. On organise des activités ensemble à toutes les saisons. On essaie de faire perdurer l’esprit collectif et de prendre soin les uns des autres ».